LA GESTION D’AFFAIRES
LES ENJEUX,
LES SOLUTIONS,
LES PIEGES A EVITER
RESUME
De nombreuses entreprises industrielles, d’ingénierie et de service, ressentant le besoin d’un pilotage précis de leur activité, se sont lancées dans la mise en place de systèmes de gestion d’affaires.
En effet, les approches comptables traditionnelles donnent généralement une vision incomplète de l’activité de l’entreprise. Centrées sur un strict suivi des flux financiers, ces approches ne permettent pas d’apprécier la qualité de certains postes du bilan, tels que les encours, et ne donnent de l’avenir qu’une vision limitée à l’extrapolation des tendances du passé.
Pour pénétrer la qualité de ces postes, une approche différente est nécessaire, basée sur le concept d’ »affaire ».
La mise en place d’une gestion d’affaires nécessite toutefois un cheminement parfois long et difficile.
Sur le plan organisationnel, les procédures de gestion doivent être redéfinies : il faut impliquer le personnel de l’entreprise jusqu’au niveau de l’exécution.
Sur le plan des outils, les systèmes d’information de gestion doivent être profondément modifiés.
Certains pièges doivent être évités. Parmi les principaux, citons les suivants :
- le piège technocratique : il consiste à décréter de nouvelles procédures et de nouvelles règles de gestion sans avoir pris au préalable la précaution d’une analyse précise des activités de l’entreprise ; le risque est le rejet du système par ses utilisateurs ;
- le piège consensuel : il consiste à reproduire dans la gestion d’affaires l’exhaustivité des pratiques et des habitudes de travail des différents services, sans souci d’homogénéité ; le risque est une complexification inutile du système ;
- le piège « comptabiliste » : il consiste à vouloir limiter de toute force l’investissement en matière d’outils et à se contenter d’une gestion comptable a posteriori des affaires en comptabilité analytique ; le risque réside dans la pauvreté des axes d’analyse, lesquels restent des axes purement comptables ;
- le piège « technologique » : il consiste à adopter un outil sur-dimensionné par rapport aux besoins réels de l’entreprise ; le risque est de payer cher cet outil et de perdre ensuite beaucoup de temps à le mettre en place.
Pour conclure, le système de gestion d’affaires idéal est un système adapté aux spécificités de l’entreprise, en terme d’activité et de culture. Il doit s’appuyer et compléter utilement les systèmes comptables, en apportant une plus grande souplesse d’analyse, mais sans complexifier les procédures de gestion.
I. LES ENJEUX
La gestion d’affaires : pour quoi faire ?
Le concept d’ »affaire » est le pendant économique du concept organisationnel de « projet ».
Tout comme le projet, transverse par rapport aux métiers techniques de l’entreprise, l’affaire peut être transverse par rapport aux centres budgétaires. L’affaire peut se dérouler sur plusieurs exercices. Elle survit aux changements de l’organisation.
Par rapport aux systèmes de gestion traditionnels, basés sur un suivi budgétaire et comptable des flux financiers, la gestion d’affaires apporte une vision complémentaire potentiellement très riche :
- elle permet un suivi de l’activité transverse par rapport à l’organisation, globalement par marché ou par client, par type d’intervention…
- elle peut donner une vision précise de la situation latente de l’entreprise, chaque affaire donnant lieu à un suivi spécifique par un chargé d’affaire, responsabilisé sur ses résultats.
La gestion d’affaires est donc un outil puissant permettant de décentraliser la gestion de l’entreprise tout en en renforçant le contrôle par la direction.
La gestion d’affaires intéresse potentiellement tous les secteurs d’activités, du négoce à l’ingénierie en passant par la maintenance ou la production industrielle, dès lors que l’entreprise a des « projets ».
Dans le cas d’une société d’ingénierie (cf. notre exemple), l’affaire correspond naturellement aux projets confiés à l’entreprise par les clients. Dans le cas d’un service de maintenance, l’affaire pourra correspondre à une partie de l’installation, à certaines familles de matériels, à certains types d’interventions (contrôles périodiques…) pour lesquels l’entreprise souhaite mener des efforts particuliers.
Le cas de la société X
Au 1er novembre 1992, la société d’ingénierie X prévoit un exercice fastueux : chiffre d’affaires et bénéfices en hausse, bonne progression des effectifs. Trois mois plus tard, les résultats sont là, décevants. Le chiffre d’affaires n’est pas à la hauteur des espérances. Le bénéfice s’est transformé en perte. Des licenciements seront peut être nécessaires…
Or, la direction n’a perçu que tardivement cette dérive. En novembre, tous les indicateurs étaient encore au vert. Le portefeuille commercial semblait bon. La production mensuelle restait élevée. Il a suffi de quelques incidents sur des gros dossiers pour que tout bascule dans le rouge :
- tel client a repoussé la date de recette de son usine ; des dépassements importants sont à prévoir ; toute la production réalisée sur l’affaire pendant les deux derniers mois de l’année a dû être provisionnée ;
- tel contrat a été l’objet de pertes de change importantes liées à la baisse du dollar ;
- tel autre contrat a été retardé de plus d’un mois du fait de l’indisponibilité de telle ressource, retardant d’autant la facturation des travaux correspondants ;
- telle commande, sur laquelle des frais importants ont déjà été engagés, n’est pas arrivée : il a fallu provisionner ces dépenses ;
- de nombreuses factures de fournisseurs sont arrivées au mois de décembre, pour lesquelles aucune commande n’avait été enregistrée en comptabilité ;
- etc.
Face à ces mauvais résultats, la direction doit réagir et prendre des décisions. Mais où porter l’effort :
- sur l’offre : faut-il abandonner certaines activités non rentables ?
- sur les coûts : sont-ils trop élevés ?
Peut être n’est-ce en définitive qu’une « mauvaise passe » et que dans quelques mois, la situation se rétablira d’elle-même…
Les systèmes comptables de l’entreprise sont de peu d’utilité pour répondre à ces questions :
- ils n’ont pas permis de prévoir ces mauvais résultats ;
- ils ne permettent pas en effet d’apprécier la qualité de certains postes de bilan (encours et provisions, comptes clients…) ;
- ils ne rendent pas compte du portefeuille commercial de la société.
La gestion d’affaires vise à combler ces lacunes.
II. LES SOLUTIONS TECHNIQUES, LES PIEGES A EVITER
Mi 93, la situation s’est rétablie :
- le client qui avait repoussé la recette de son atelier l’a finalement recetté dans de bonnes conditions ; des avenants confortables ont même été négociés ;
- la commande qu’on n’attendait plus est finalement arrivée.
La direction décide cependant de mettre en place un nouveau système de gestion par affaires pour avoir une meilleure visibilité sur l’activité de la société. Une comptabilité analytique par affaire est mise en place. Chaque commande donne lieu à la création d’une affaire en comptabilité analytique, laquelle est destinataire des recettes et des dépenses (temps passés et factures fournisseurs) en rapport avec la commande. Le nouveau système est mis en place en quelques mois.
Fin 93, le scénario de fin 92 se répète pourtant : recettes différées, glissement de certains projets importants, avalanche de factures fournisseurs dans les derniers mois de l’année…
La comptabilité analytique révèle que sur cinq départements, deux sont déficitaires. Ces deux départements correspondent en fait à des activités prometteuses en cours de démarrage. Chaque chef de département incrimine les charges indirectes excessives que supporte son département.
La direction demande un audit externe des procédures de gestion.
Celui-ci révèle les lacunes suivantes :
- pas de gestion des engagements : les chefs de missions, auxquels les principes du nouveau système de gestion ont pourtant été présentés, ont beaucoup de mal à utiliser la comptabilité analytique ; très souvent, ils négligent d’y entrer leurs commandes fournisseurs ;
- pas de gestion prévisionnelle des ressources : ce sont toujours les mêmes ingénieurs qui sont affectés en priorité sur les affaires et personne ne s’assure de leur disponibilité prévisionnelle ; il en va de même pour certains moyens partagés dont la capacité est limitée (centre de calcul…) ;
- pas de suivi de la marge prévisionnelle : la comptabilité analytique fonctionne par exercice ; or, la plupart des missions s’étendent sur plusieurs exercices ; les chefs de missions disposent presque tous de tableaux de suivi de leurs affaires hors comptabilité ; ils négligent en conséquence de tenir à jour les budgets déclarés en analytique ;
- le système ne permet pas d’analyser l’activité de la société suivant des axes extra-comptables (par pays, par technologie…) : les seuls axes autorisés sont les centres de CA et les centres de frais de la comptabilité analytique ;
- le portefeuille commercial n’est toujours pas suivi.
Suivant les recommandations de cet audit, la direction lance un projet de mise en place d’un système de gestion d’affaires en amont de la comptabilité :
- ergonomique, pour en faciliter l’utilisation par les chefs de missions ;
- intégrant l’activité commerciale : suivi du portefeuille commercial (offres remises…) ;
- intégrant un suivi des affectations des ressources sensibles ;
- permettant un suivi pluri-annuel des affaires ;
- interfacé à la comptabilité générale et analytique qui continuera de former les coûts standards de certaines prestations (coût horaire d’ingénieur, coût horaire de tel ou tel calcul…) et d’établir les comptes de résultats des centres de CA et de frais ;
- interfacé à un infocentre qui permettra des analyses de l’activité suivant des axes non programmés.
Un groupe de travail est constitué pour établir les spécifications détaillées de ce nouveau système de gestion d’affaires. Parallèlement, la direction confie à son conseil un examen des progiciels de gestion d’affaires susceptibles de répondre à ses besoins.
Au bout de quelques mois, une première version du cahier des charges du futur système de gestion d’affaires est finalisée, tandis que deux sociétés sont présélectionnées. Ces sociétés proposent des progiciels en environnement micro, relativement « rustiques », mais très ergonomiques et peu coûteux, pour lesquels des adaptations sont généralement nécessaires.
Un troisième éditeur, qui proposait un progiciel remarquablement puissant, mais coûteux et lourd, a été écartée suite à une enquête auprès de la société citée en référence (laquelle s’est révélée être le principal actionnaire de l’éditeur).
Le cahier des charges est soumis aux deux sociétés. Les devis remis dépassent de 100 % le budget initialement réservé à l’opération.
La direction décide de revoir le cahier des charges. Un examen attentif permet d’apporter des simplifications importantes. En effet, chaque service avait spécifié des règles de gestion correspondant à son propre fonctionnement. Le cahier des charges était donc la somme de ces règles de gestion, sans homogénéisation des pratiques. Ainsi, tel service élaborait ses budgets de dépenses en se basant sur deux catégories d’agents, tandis que tel autre en utilisait cinq…
Re-consultées sur la base de ce cahier des charges simplifié, les deux sociétés remettent enfin deux devis conformes aux attentes.
Mis en place à la fin de l’année 94, le nouveau système est opérationnel dès le début de l’année 95, après reprise des affaires initialisées lors des exercices précédents.
Au bout de quelques mois de fonctionnement, le nouveau système fournit déjà des renseignements précieux :
- telle activité à l’export semble se révéler, compte tenu des frais importants et des dépassements de charges fréquents, beaucoup moins rentable qu’on ne l’imaginait ;
- telle autre activité montre un dynamisme commercial remarquable, à en juger par l’explosion de son portefeuille commercial.
III. ELEMENTS DE RETOUR D’EXPERIENCE
L’expérience décrite ci-dessus (quelque peu romancée pour la clarté de l’exposé), donne un aperçu des apports possibles d’une gestion d’affaires et des pièges à éviter dans sa mise en œuvre.
Sans parler de « recettes », quelques recommandations de l’auteur pour réussir la mise en place de votre propre gestion d’affaires :
1. Impliquer la direction générale de l’entreprise
Pour que le système fonctionne, il faut une adhésion forte de l’ensemble de l’encadrement, jusqu’au niveau des chefs de missions. Ce sont eux qui vont « nourrir » le système. On a vu dans notre exemple qu’insuffisamment impliqués, ils auront vite fait de s’en détourner.
La direction de l’entreprise doit en conséquence faire connaître ses objectifs de façon claire et soutenir une démarche généralement longue et fastidieuse.
2. Appuyer la démarche sur un « ré-engineering » des processus de gestion
En l’absence de procédures, chaque service aura vite fait d’établir ses propres règles, sans nécessairement se soucier d’une quelconque cohérence avec les autres services. La mise en place d’un système de gestion d’affaires ne peut généralement pas faire l’économie d’une remise en cause de ces règles.
Dans cet exercice, on doit en permanence avoir à l’esprit cette interrogation : en quoi telle règle est-elle liée à mon activité ? En quoi son application me permet-elle de rendre un meilleur service à mes clients ?
3. Mettre en œuvre des outils adaptés
Entre le « minimalisme comptable » et l’ »usine à gaz » du progiciel intégré qui « fait tout », de la planification des ressources au suivi de la marge prévisionnelle en passant par la gestion commerciale, il y a généralement un juste milieu, à savoir le progiciel « rustique » et évolutif qui vous apportera pour quelques centaines de Kilo Francs les fonctions dont vous avez besoin… à condition toutefois d’avoir conduit convenablement le « ré-engineering » préalable de vos processus de gestion.
CONCLUSION
Face aux défis du troisième millénaire : productivité et compétitivité sur des marchés toujours plus ouverts et concurrentiels, l’entreprise industrielle doit disposer de systèmes de pilotage performants, qui intègrent les dimensions technique et économique de son activité.
C’est l’objet des systèmes de gestion d’affaires.
OVA Consulting, société de conseil intervenant sur les secteurs de la grande industrie, des transports, de l’énergie et des télécommunications, réunit des compétences et des expertises étendues, acquises à l’occasion de sa participation à la définition et à la mise en œuvre de systèmes de gestion en environnement industriel.
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Pierre COURBARIAUX OVA Consulting Tél : 01 46 88 38 54 GSM : 06 11 62 01 51